Modou Dieng n’est pas suspendu à ces croyances contrairement à Sika Bakhoum, une femme de forte corpulence, au teint noir. Elle tire ses revenus de la vente des poissons. Depuis plus d’une vingtaine d’années, lorsqu’elle sort de sa maison, elle sacrifie à certains rites et rituels. « Si je dois venir vendre, je fais tout pour croiser un homme. J’ai constaté que lorsque je rencontre un homme, j’écoule vite mes produits et mes affaires marchent », avance la vendeuse.
Sur les margelles d’un muret du second hangar, deux hommes, aux boubous mouillés et à la chevelure blanche croisent les doigts le temps que la mer se calme. Mouhmadou Ngom est âgé de 60 ans et Mamadou Seck a 65 ans. Ces sages sont les témoins de tous les cérémonials, aussi bien sur ce quai que dans d’autres lieux. « J’ai vu que beaucoup de personnes ne veulent pas rencontrer en premier une femme ou un homme. Si un jour quelqu’un rencontre en premier une personne qui n’est pas de sa préférence, il est diminué sur le plan moral », avance Mamadou Seck.
Heritage culturel
Les convictions religieuses n’ont pas mis à rude épreuve ces croyances. Elles font partie des héritages culturels transmis de génération en génération. « Nous sommes des musulmans. Nous croyons au destin. Les Sénégalais se conforment à ces croyances, parce qu’ils ont vu leurs aïeuls les respecter. On les respecte par méfiance et par conviction », raconte Mamadou Seck. Son compagnon Mouhamdou Ngom, un sérère élancé, au teint noir foncé refuse de s’enfermer dans ces carcans. Certaines personnes, regrette-t-il, accordent beaucoup d’importance à ces actes. « C’est un réflexe pour beaucoup de Sénégalais. J’ai vu plusieurs personnes se plaindre lorsqu’elles rencontrent, tôt le matin, une femme ou un homme. Je ne colle pas d’importance à cela. Nous devons croire au destin », objecte-t-il.
Trouvé à l’angle d’une rue, Ousmane Sylla est assis près d’un groupe de femmes sur le hangar principal. Il a le regard suspendu sur ces filles et garçons qui se bousculent dans l’eau pour débarquer les caisses de poissons des pirogues. « J’ai une certaine confiance lorsque je croise en premier une femme. Je ne peux pas l’expliquer, la fille et la femme me portent chance », s’exclame-t-il. « Je ne crois pas tellement à cela », réplique une dame assise à ses côtés. Le sujet est alors sur toutes les lèvres. « Un musulman doit tout laisser entre les mains de Dieu, c’est lui qui donne à qui il veut », lâche une dame corpulente, le foulard accroché sur les épaules, une bassine coincée entre son bras et ses côtes. « Nous sommes des musulmans, mais cela n’empêche pas que l’on respecte certains actes qui n’ont rien à voir avec la religion. Nous versons de l’eau tout autour de nous, dans la matinée pour attirer plus de clients afin d’écouler vite nos produits », tonne une autre.
Le soleil est au zénith. La plage perd son effervescence. Les vendeuses et pêcheurs se refugient sous les hangars secondaires où dorment des femmes et des hommes.
Idrissa SANE